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Lettre de Tatiana Honegger

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A Madame Dominique CAILLAT
A Monsieur François ROCHAIX

Théâtre de Carouge
1227 Carouge

Belmont, 12 décembre 2007

Madame,

Monsieur,

Permettez-moi de vous adresser ce message, après avoir eu le bonheur de participer à une représentation d’ « Etat de piège » en vos murs, ce 6 décembre.

Je tiens à vous rendre un vibrant hommage. D’abord au texte de Madame Caillat. Une mise en perspective sensible, intelligente, qui offre la parole à deux hommes englués dans le conflit israélo-palestinien, en quête de leur quotidien, et rattrapés par le désastre. Tout est dit : l’affrontement et l’incompréhension de ces deux Histoires parallèles et non encore rejointes en dépit des efforts de tant de mouvements admirables et engagés sur place, la souffrance de chaque peuple, la nécessité urgente de la reconnaissance de l’Autre dans sa douleur et son sentiment d’injustice, la nécessité urgente de continuer à créer des ponts, pour se connaître, se reconnaître, se pardonner mutuellement et pouvoir enfin aller de l’avant.
Puissant et bouleversant raccourci d’un conflit qui suscite tant de réactions émotionnelles, traité ici avec une immense dignité. Puisque, à travers la figure d’une journaliste qui écoute et chemine, chacun des protagonistes a droit à la parole, et qu’il est respecté dans son discours.

Ce texte admirable est servi par une mise en scène tout aussi admirable. Un décor sobre, austère, aux lignes pures, épurées : refus d’un misérabilisme émotionnel, mais aucun esthétisme gratuit. Tout est d’une élégance spirituelle parfaite. Ces panneaux pleins de symboles très forts et porteurs de sens, qui structurent le récit. Portes, cloisonnements –ouvertures, fermetures. Enfermement, passage. Portes / cloisons : ouvert/ fermé, et aussi : transparent /opaque/ translucide/ miroir. Symboles d’Israël /Palestine.

Cela bouge sans cesse. Vivant. Rien de figé. Des reflets, des éclats de lumière. Des noirs percutants. Habités. Une bande sonore qui a refusé aussi la tentation, ou plutôt la facilité de la couleur locale, des choix courageux. 
La pureté des lignes du décor permet de préserver, capter l’attention sur le texte et les acteurs, et ce décor manipulé par les acteurs eux-mêmes les soutient, fait partie intégrante de leur trajectoire, sans jamais être redondant. Le décor ne surligne pas le texte, il accompagne les acteurs. Simplicité du génie, et de l’attention à l’auteur.
Ce moment où les deux protagonistes dialoguent en miroir – identité gémellaire -  « je est l’autre et l’autre est moi », imbrication du discours des individus mais aussi des destins des deux peuples. Un moment poignant, visionnaire.

De même ces quelques répliques, où tournent en boucle la revendication, ou l’attente de reconnaissance envers la souffrance de l’autre : de l’explication presque lisse - ou apparemment détachée au hurlement, des temps forts qui ponctuent le texte, une puissance bouleversante.

Une œuvre, une mise en scène servis également par des acteurs admirables qui se sont engagés dans le vif, jusqu’au bout des émotions, avec une gestuelle très juste, fine, et leur capacité de dévoiler, au delà de la colère, de la révolte, les émotions les plus ténues, la fragilité intérieure, le doute. Une immense lassitude. Et une profonde humanité qui bouleverse encore et encore. Et j’ose imaginer l’impact intérieur d’un tel engagement jusqu’au bout de soi-même. Merci pour tout ce qu’ils donnent.

Voilà, un travail d’équipe très fort et d’une immense exigence, un travail intelligent, fin et sensible - pardonnez-moi de me répéter, et de ne point parvenir à vous exprimer, à vous tous, toute la richesse de tout ce que j’ai perçu. Ce n’en sont que des bribes.

Les artistes sont nos phares, au sens baudelairien du terme, ils sont aussi notre conscience, notre nourriture spirituelle, ils sont ceux-là qui nous interpellent, nous empoignent, nous incitent à réfléchir, nous permettent de nous questionner et de progresser. Et dans ces temps difficiles, où notre pauvre monde si blessé est à nouveau parti en dérive, vous  - tant d’artistes chevillés à une éthique exigeante, écrivains, compositeurs, musiciens, metteurs en scène, directeurs de théâtres, comédiens, peintres, danseurs, photographes….  êtes plus que jamais indispensables.

Et c’est dans ce sens que je vous exprime toute ma gratitude pour « Etat de piège ».

De tout mon cœur, j’espère que ce spectacle pourra tourner, beaucoup, en Suisse et dans d’autres pays francophones. Un bel enjeu envers la réconciliation, au sens large et humaniste du terme.

Permettez-moi de vous souhaiter, à vous toutes et tous qui avez œuvré pour l’accomplissement de ce spectacle, de belles Fêtes, emplies de lumière intérieure et d’amour, et une Nouvelle Année sous le signe d’un espoir actif et engagé pour la paix, la tolérance et le partage entre les peuples, quels qu’ils soient. C’est un très long chemin.

 

Tatiana Honegger

 

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